02 - La Montagne Bienfaisante
Suite : 03 - L'Imaginaire et la Montagne
Précèdent : 01 - La Montagne à l'ère des âges farouches
Si un peu partout sur la terre - partout où il y a des montagnes étincelantes de glaciers instables, partout où il y a des volcans actifs - les hommes ont construit des mythes mortels et horribles pour expliquer les mouvements et les soubresauts de la nature, c’est qu’effectivement les montagnes - qu’elles soient issues des plissements de l’écorce terrestre où issues d’éructations magmatiques - sont souvent dangereuses et inhospitalières au-delà des alpages. Si bien qu’il n’était pas forcément besoin de mythes pour que les hommes gardent une distance respectueuse entre ces contrées inhospitalières et eux.
Cependant les hommes avaient aussi la capacité de s’adapter aux milieux les plus divers et d’apprendre d’eux. Chassés du jardin d'Eden ou plutôt le climat ayant transformé la végétation tropicale pour une végétation de lande et d'arbuste moins généreuses en fruits, les hommes se mirent à l'agriculture et l’élevage et en se cultivant au passage, ils finirent par remarquer que les montagnes, de types volcaniques en particulier, offraient aussi des bienfaits. Ces géants apportaient de l’eau à leurs moulins, irriguaient les terres, fertilisaient les sols, protégeaient ses habitants des épidémies, les rendaient quasiment inaccessible aux invasions des barbares sanguinaires qui infestaient les basses terres, sans oublier des plantes et des minerais aux vertus spirituelles, médicinales et économiques fort utiles que l’on trouvait sur leurs flancs... Aussi, entre danger et bienfaits, ils établissaient une sorte d’équilibre avec tout ce qui était redoutable et louable en montagne. Et, probablement pour bien des peuples, cette abondance, cette richesse, cette fertilité, avaient la même origine divine que les tremblements de terre, le legs d’un dieu aux hommes méritants et audacieux.
Le premier constat que l'homme puisse se faire de l'observation du monde, de lui-même et de la nature, c'est que tout est question d’équilibre : entre la paix et la guerre, le bien et le mal, la nuit et le jour, entre le froid et le chaud, entre l’abondance et la privation, entre la pauvreté et la richesse, entre le bonheur et le malheur, entre la furie et l’harmonie. En somme tout a son opposé avec un point d’harmonie au milieu, quasiment impossible à obtenir pour ne pas dire inexistant. En montagne, c’est pareil, les hommes s’emparaient des dons de la nature pour leur bien propre mais en même temps, vu le caractère instable des géants et le mal qui pouvait en survenir, ils savaient que tout pouvait leur être enlevé, sous une forme ou une autre. Bien entendu, les hommes ne pouvaient que souhaiter que perdure à leur avantage, l’harmonie heureuse entre les forces chaotiques redoutables et la générosité bienfaitrice des divinités ; ou du moins, craindre que cette harmonie soit brisée par leurs idoles s’ils ne se prosternaient pas de temps à autre en marmonnant des salamalecs au rythme du son d’un tambour. Aussi, on le sait aujourd’hui puisque cela se pratique encore, les hommes suivant leur degré de gratitude et de peur, offraient en festin aux puissants monarques des montagnes et d’ailleurs, des poulets, des vachettes maigres, ou encore des femmes bien en chair alors même qu’en dépit de tels présents, ils n’étaient pas certains d’éviter les problèmes de cohabitation entre les Dieux et eux.
En bref, au point où on en est dans la tentative de raconter l’histoire de l’escalade à Fontainebleau, on peut dire que les hommes ont durant des dizaines de milliers années eu de bonnes raisons de redouter les volcans et les hauts sommets glacés, mais qu’ils ont eu durant pas mal de temps, aussi de très bonnes raisons de demeurer sur leurs flancs pour profiter de ce que ces sublimités étincelantes leurs apportaient de bienfaits : et cela jusqu’à loin dans les plaines.
Et puis, à soupeser le bien et le mal dans chaque main, on peut ajouter que globalement les esprits des montagnes étaient curieusement pleins de clémence pour les hommes, tant que ceux-là se contentaient de rester dans les vallées aux limites des derniers alpages. Et c’était d’autant plus facile de respecter le domaine privé des esprits malins et des dieux colériques, que leurs demeures étaient dans les régions les plus hostiles de la terre, précisément dans les contrées où l’homme n’avait rien à faire d’utile pour lui. Comme si, à l’image de bien des animaux sauvages, ils avaient été acculés à se réfugier dans la quiétude glacée des hauts sommets pour avoir la paix. En somme, les hommes craignaient les dieux à cause de leur puissance, mais en même temps, plus les hommes osaient s'avancer vers les hauteurs, plus l'espace attribué aux Dieux se rétrécissait au point de quitter la terre. Cependant, cela n’empêcha pas aux mythes de survivre et de faire comme si l’hostilité de la haute montagne était à l’extrême de l’indicateur du mal. Aussi en dépits de leur témérité, les hauts sommets ont vu longtemps les hommes garder honorablement leur distance. Et cette situation, dura, dura, dura en dépits de la présence des hommes aux pieds des montagnes.
Suivant les fondements culturels des peuples, le degré d'avancement de leur civilisation, leur environnement, leurs pensées spéculatives sur les manifestations de la nature, sur leur conscience, sur leur pouvoir d'agir sur leur environnement... la montagne peut être perçu, soit comme le berceau de la vie, soit comme le royaume des morts, soit comme la résidence des être maléfiques et étranges : la fantasmagorie n'a pas de limite. Du fait de toutes ces variables, entre les peuples et à toutes époques, il n'y a pas eu d'unité de perception des montagnes : allant du bien au mal, du nécessaire à l'inutile.